“Je mettais à la bouche les buses des rampes pour les déboucher”

Laurent Félix vient du Vaucluse, où il a arrêté l’école à 16 ans pour aider dans l’entreprise familiale. Habitué aux très longues journées, il y travaille jusqu’à ses 30 ans et la retraite de ses parents. Ses beaux-parents lui proposent alors de travailler dans leurs vignes.

« Les désherbages se faisaient principalement au Roundup. Pour les traitements, je rinçais les bidons en aspergeant de l’eau à haute pression pour bien nettoyer les parois : j’avais des éclaboussures sur le visage régulièrement. Quand les buses des rampes étaient bouchées, je les dévissais à la main, et je les mettais à la bouche pour souffler. Étant tous les jours dans les vignes, j’étais en contact permanent avec les produits phytos. Le tracteur qu’on utilisait était vieux, avec une cabine faite maison sans étanchéité ».

Après 18 ans dans les vignes, en avril 2017, il reste bloqué et consulte pour un lumbago « Je n’allais jamais voir le médecin, je ne me plains jamais. ». Il en profite pour lui parler de ses tremblements, qu’il attribue au stress de sa séparation. « J’avais 47 ans. J’étais loin de penser à Parkinson. Le médecin m’a mis en arrêt maladie, j’ai fait des IRM, un scanner. » La maladie est bien là. « Je n’ai compris qu’une fois la maladie décelée que je trainais les pieds, que je ralentissais le rythme de travail, que je ne retenais qu’une chose à la fois, tous les symptômes de Parkinson ».

Alors qu’il vit dans un village viticole, il doit s’écarter des vignes. « Je ne peux pas marcher dans la nature car je peux à tout moment inhaler ou respirer des embruns de traitements. Je peux marcher en pleine montagne ou en ville. »

Laurent rencontre Béatrice Lebrun à cette époque-là. Belge, sans lien avec le milieu agricole, elle vit dans un petit village dans le Sud de la France suite à deux cancers qui l’ont fortement diminuée. « Quand nous nous sommes rencontrés, il m’a dit tout de suite qu’il était malade, ce qui lui était arrivé, cela ne m’a pas posé problème. Mais la problématique des pesticides, je n’étais pas dedans, c’était une information parmi d’autres. »

« Pendant un an et demi, on s’est senti complètement seuls. » Le généraliste était contre la déclaration de sa maladie en maladie professionnelle et la neurologue ne connaissait pas les procédures. Avec un passé professionnel dans un syndicat, Béatrice se bat et cherche « on a pris ça à bout de bras, je trouvais ça tellement injuste ! » Laurent a très peu d’indemnités de travail, puis se retrouve sans revenus pendant plusieurs mois. Elle cherche dans tous les sens et monte le dossier de reconnaissance en maladie professionnelle auprès de la MSA. « Quand on a vu les documents à remplir ! Six pages de questions du type « combien de coups de sécateur par heure/jour/mois ? » C’est honteux, la MSA a elle-même reconnu que c’était dissuasif. » Mais comme la maladie de Parkinson est reconnue en lien avec les pesticides, la reconnaissance en maladie professionnelle ne prend que deux mois. Laurent l’admet, « si Béatrice n’avait pas été là, j’aurais laissé tomber depuis très longtemps. »

Ils ont été dirigés à la FNATH* au printemps 2019 « Pour la première fois on a été reçu, écouté, eu un lien avec un juriste ». Juste après, le 11 avril 2019, ils voient Paul François au journal de 13h pour son procès contre Monsanto. Il parle de l’association Phyto-Victimes, spécialisée dans la défense des professionnels victimes des pesticides. Béatrice appelle l’association « j’ai eu Emma très longuement, elle nous a touché, la première chose qu’elle m’a dite c’est « vous êtes au bon endroit ». Ça faisait du bien d’entendre ça, avoir des gens qui comprenaient ce qu’on vivait. ». C’est ensuite l’expertise de Claire Bourasseau qui est sollicitée pour monter le dossier pour le médecin expert concernant le taux d’IPP (Incapacité Permanente Partielle) de Laurent. Maintenant commence le chemin judiciaire pour contester en appel la décision.

Laurent et Béatrice ont trouvé de l’aide à Phyto-Victimes et ont décidé d’apporter leur pierre à l’association. Béatrice a accepté d’être administratrice-stagiaire et relais local. Elle découvre petit à petit le travail quotidien des salariées et du Conseil d’Administration. Pour Laurent, c’est plus difficile. « J’ai peur de rencontrer d’autres personnes malades, je ne veux pas voir ce qui va m’arriver plus tard. J’aimerais m’impliquer, parler de ça, mais pour l’instant je n’accepte toujours pas la maladie. Le fait d’avoir été à Toulouse et à Nîmes pour des rencontres de Phyto-Victimes a été très positif. Par contre, voir des personnes plus atteintes que moi dans la maladie m’a contrarié. Pour l’instant je profite de tout ce que je peux, je ne me projette pas dans la maladie. »

Béatrice et Laurent sont cependant unanimes : « Heureusement qu’on a rencontré Phyto-Victimes, merci à vous. »

Si, comme Laurent, vous pensez être malade des pesticides, prenez contact avec Claire Bourasseau au 06 40 19 87 98, elle vous conseillera et vous accompagnera.

* La FNATH défend et accompagne les personnes accidentées de la vie, pour faciliter leur accès au droit dans le domaine des accidents du travail, des maladies professionnelles, mais aussi de toute maladie et handicap.

Phyto Victimes

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